Sylvie Fayet-Scribe

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (France)

Suzanne Briet, héritière d’une généalogie de pionniers francophones. De la table des matières à l’âge de l’indexation

Résumé

Pourquoi situer Suzanne Briet dans l’aventure de la longue durée de l’accès à l’information au sein d’une généalogie de pionniers francophones ? Puis ensuite dans la courte durée à travers sa biographie ?

Mon parcours s’inscrit dans la perspective d’un travail sur un temps long afin d’établir la chronologie des apparitions successives des outils de médiation des savoirs du Moyen-Âge au XXe siècle. Il s’agit ainsi de comprendre l’histoire des techniques intellectuelles de repérage liées à l’organisation des connaissances et aux changements d’attitude cognitive (de la déduction à l’abduction). Cette représentation permet de voir de quels outils et techniques intellectuelles Suzanne Briet est l’héritière.

Le deuxième aspect qui appartient au temps court montre Suzanne Briet dans son appartenance et son action au sein de la révolution silencieuse du rôle des documents au début du XXe siècle. Les documents sont en rupture avec l’ordre des livres et sont revendiqués pour de nouveaux usages. Ils sont au service de la preuve judiciaire (affaire Dreyfus), de la preuve scientifique (affaire Loisy), et utilisés pour la prise de décision dans les domaines administratif, financier, économique et industriel.

L’influence de Paul Otlet sur Suzanne Briet est certes marquante mais on peut aussi retenir celle de Pierre Duhem et d’Henri Fayol qui insistent sur les rôle multiples et fondamentaux du document en France.

Suzanne Briet, dans sa démarche professionnelle et réflexive intègre les savoir-faire traditionnels autour du livre mais fait aussi basculer le document dans une nouvelle dimension sémantique et sémiologique. Elle l’aide à passer d’un statut d’auxiliaire à celui d’un agent dynamique du capital immatériel dans la société (cf. les travaux de Michael Buckland).

Une dernière étape est d’examiner la vie plus personnelle de Suzanne Briet , femme à la fois discrète, voire secrète : elle dépose ses archives mais instaure un long délai avant l’autorisation de les consulter. Une femme militante, féministe et catholique pratiquante, dont on peut se demander si un des objectifs tacites n’était pas de montrer comment le document « permet de combler l’abîme entre le commandement et le savoir » (S. Briet, Enquête sur la formation professionnelle des bibliothécaires et des documentalistes, rapport UNESCO, 1950, p. 145.).

Biographie

Sylvie Fayet-Scribe est Maitresse de Conférences à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne en science de l’information et en histoire, où elle est membre du Centre d’histoire du XIXe siècle (EA 3550).

Co-directrice de la revue électronique Solaris dans les années 1995, elle a développée différents outils pour aborder la riche généalogie des acteurs et actrices de la documentation et de la   science de l’information sur un temps long et sur un temps court.

Ainsi, tout d’abord, une chronologie : « chronologie des supports, des dispositifs spatiaux, des outils de repérage de l’information » (Solaris n°4, en ligne 1997) ; puis une monographie : «  Histoire de la documentation en France, culture, science, technologies de l’information » (CNRS, 2000, en ligne 2016) ; et enfin , une série de récits biographiques des grands créateurs et créatrices d’outils de repérage de l’information dans l’ouvrage « La Table des Matières » (paru en 2007 et mis en ligne en 2017) contenant entre autres les parcours biographiques de Suzanne Briet et de Paul Otlet.

Ses recherches actuelles portent sur la vie sociale des documents en 1900 et durant l’entre- deux- guerres au sein de différentes branches professionnelles de la société française. L’objectif est de compléter ses travaux sur les « techniques intellectuelles » liées à l’organisation des connaissances, c’est-à-dire de chercher une méthode historique qui à partir des archives primaires des usagers permettrait d’éclairer le maillage de l’humain et de l’information.